C'est le 24 juillet 2001, que Monsieur Jean Glavany, Ministre de l'Agriculture et de la Pêche, m'a demandé d'établir un rapport sur l'exercice vétérinaire en milieu rural et le mandat sanitaire.
Dans la lettre de mission, il m'était demandé de poser un diagnostic sur la profession, d'émettre des propositions pour assurer le maintien de vétérinaires en milieu rural et d'établir des recommandations concernant l'octroi et l'exercice du mandat sanitaire.
Comment ai-je procédé ?
Disons-le d'entrée, je n'ai essayé ni de faire un rapport flamboyant et démagogique, ni de rédiger un rapport geignard pas plus d'ailleurs que je n‘ai tenté d'être rassurant ou inquiétant. J'ai simplement essayé d'être honnête et concret et je me suis fixé pour objectif de proposer des mesures réalistes et applicables.
J'ai rencontré au total une centaine de personnes. Des praticiens bien sûr, des praticiens de toutes origines, exerçant seuls ou à plusieurs. Je les ai rencontrés en tête à tête ou en groupe, j'ai discuté avec eux, et souvent très longtemps, au téléphone.
J'ai vu aussi les responsables des différents syndicats, les représentants de l'Ordre. J'ai écouté avec attention nos confrères salariés de l'industrie, qu'ils dépendent du secteur privé ou du secteur coopératif. J'ai eu de longues discussions avec une quinzaine de DSV, avec des représentants de l'administration centrale, de la DGAL, de la DGER.
J'ai enfin pu avoir des entretiens tout à fait fructueux avec les directeurs d'école, plusieurs professeurs, des étudiants, des représentants des éleveurs ou de groupements d'éleveurs et, bien entendu, le Président, le Secrétaire Général et les autres membres du bureau de l'Académie vétérinaire.
Je me suis très rapidement rendu compte en discutant avec les uns et les autres que pour répondre à la question qui m'était posée, je devais d'abord, et en priorité, me préoccuper des vétérinaires ruraux.
C'est pourquoi, dans un premier temps, je me suis attaché à établir un état des lieux. Il comporte deux parties.
Dans la première, j'ai réuni un ensemble de données objectives sur la profession. En voici les principaux éléments.
Il y a en France 14.500 vétérinaires en activité :
- 76% ont une activité libérale
- 10% sont salariés du secteur privé
- Les vétérinaires libéraux exercent pour seulement 24% d'entre eux en clientèle rurale ou en clientèle mixte à dominante rurale.
Quant à la densité vétérinaire en France rapportée à la tête de gros bétail, elle n'est nulle part catastrophique même si elle tend à s'abaisser dans certaines régions comme le Limousin. Elle varie grosso modo entre 4 et 6000 avec une moyenne nationale à 6200.
J'ai dans un second temps, et pour reprendre l'expression du Ministre quand il a évoqué mon rapport à Toulouse le 31 janvier dernier, dressé un diagnostic sans fard de la situation des praticiens ruraux. Je n'ai essayé ni d'être alarmiste, ni d'être lénifiant. J'ai simplement tenté de montrer les choses telles qu'elles étaient.
Il est vrai que dans la profession le malaise est réel mais il est tout aussi vrai qu'il n'est ni aussi généralisé ni aussi profond qu'on le dit parfois. Bien entendu, d'une région à l'autre, d'un individu à l'autre, d'un secteur d'activité à l'autre, il existe d'énormes différences.
On peut cependant dire sans courir grand risque de se tromper :
a) Que la vie du praticien rural reste pénible et que cela est d'autant plus profondément, d'autant plus intensément ressenti que l'ambiance générale est beaucoup plus à l'allègement des horaires et à l'amélioration des conditions de travail qu'au stakhanovisme. Ce qui paraissait acceptable, il y a dix ans à peine, est aujourd'hui quasiment insupportable.
b) Que les praticiens ruraux souffrent plus qu'ils n'osent l'avouer des relations peu amènes qu'ils entretiennent de plus en plus souvent avec un nombre croissant de leurs clients. Ils souffrent à l'évidence d'un certain manque de considération. Cela ne leur est pas particulier : les médecins ont émis les mêmes doléances tout au long de leur mouvement de protestation.
c) Que ces mêmes praticiens tolèrent de plus en plus mal de se voir, selon leur expression, appelés en pompiers et de n'intervenir qu'en urgence.
d) Que la plupart d'entre eux reprochent aux Pouvoirs publics de leur avoir beaucoup demandé sans rien leur avoir donné en échange, pas même un peu de considération.
Parmi les lettres qui m'ont été adressées, et j'en ai reçu beaucoup, plusieurs dizaines, certaines étaient très émouvantes. Je me permettrai simplement de citer quelques mots de l'une d'entre elles, tout à la fois chaleureuse, touchante et très représentative : "Pardonnez moi, me disait son auteur en guise de conclusion, mais je vous ai envoyé une lettre vidange de coeur".
En bref, inutile d'épiloguer, l'exercice en milieu rural pose de réels problèmes et cela se mesure à deux éléments concrets :
- Il est extrêmement difficile de trouver, quelle que soit la période de l'année, des remplaçants en clientèle rurale.
- Il est quasiment impossible de céder une clientèle rurale.
Bien entendu, j'ai souhaité savoir ce que pensaient les jeunes de cette situation. J'ai une fois encore réuni un certain nombre de données chiffrées et posé beaucoup de questions, en tête à tête, tant à des étudiants qu'à de récents diplômés.
Deux mots des écoles pour commencer. J'ai comparé les écoles entre elles à deux périodes différentes : en 1987 et en 1997, à dix ans d'intervalle donc.
En 1987, le pourcentage des filles admis dans les écoles variait entre 32,6% pour Nantes et 36,7% pour Alfort. En 1997, ce même pourcentage variait entre 58,1% pour Nantes et Alfort et 60,2% pour Lyon. En 2001, 69% des admis étaient des filles.
A la sortie des écoles, en 1987, 32,7% des jeunes qui allaient vers l'exercice libéral s'orientaient vers la rurale. Ils n'étaient plus que 23,9% en 1997 (16% de filles et 37% de garçons).
Concernant maintenant les vétérinaires formés en Belgique et exerçant en France, qu'ils soient d'origine française ou d'origine belge, j'ai examiné comment avaient évolué les choses de 1962 à 1998, soit pendant 36 ans. Faible à l'origine, en 1970, le contingent belge s'est très vite renforcé pour atteindre son maximum dans les années 80. Une soixantaine de diplômés s'installaient alors en France chaque année. Depuis, un changement s'est produit et ils ne sont plus aujourd'hui qu'une grosse trentaine, parfois quarante tout de même, à choisir l'Hexagone. Mais, contrairement à une idée reçue, les jeunes diplômés issus de Liège ne s'installent pas plus volontiers en zone rurale que les jeunes sortis de nos écoles.
Quant aux étudiants issus du concours C (BTSA), il semblerait, je dis bien il semblerait, car les enquêtes n'ont porté que sur un trop petit nombre d'individus pour que l'on puisse être franchement affirmatif, qu'ils aillent un peu plus volontiers que leurs homologues du concours A vers la pratique en milieu rural. Ce qui, soit dit au passage, signifie qu'une majorité d'entre eux va vers la canine.
Quelles ont été mes recommandations pour maintenir le nombre des praticiens à un niveau satisfaisant de façon à préserver le maillage sanitaire et à lui garder toute son efficacité ? Elles se situent à trois niveaux : accession aux écoles vétérinaires, aménagement des études, exercice en milieu rural.
Au niveau du concours d'entrée, il m'est apparu nécessaire :
- De diversifier les origines des candidats, un trop grand nombre d'entre eux proviennent des milieux urbains aisés.
- De faire en sorte que les jeunes refusés au concours d'entrée ne soient pas enfermés dans un cul de sac (Ils sont, après tout, les plus nombreux)
- De rapprocher futurs agros et futurs vétos qui seront finalement tous, et d'une manière ou d'une autre, des ingénieurs du vivant.
J'ai donc proposé, en ce qui concerne le concours A, un concours à programme commun entre toutes les écoles supérieures dépendant du ministère de l'Agriculture. Il ne m'aurait pas gêné, il ne me gênerait pas que l'on aille jusqu'à un concours commun, les coefficients matières étant différents d'une grande école à l'autre. Mais ce n'est pas là le plus important.
J'ai simultanément proposé d'élever jusqu'à 10% le quota des admis aux concours B et C. A condition cependant que la pression de sélection reste suffisante pour garantir la qualité des étudiants.
Au niveau des études, j'ai émis le voeu que l'on redonne à l'enseignement de la pathologie des animaux de rente la place qui aurait toujours dû être la sienne et j'ai suggéré la création d'une ferme hôpital près de Nantes. Pourquoi Nantes ? Parce que 75% des porcs, 75% des volailles, 60% de la production de lait et % de la production de viande bovine proviennent du Grand Ouest.
Deux autres mesures ont été proposées dans la foulée :
- Revaloriser l'exercice du mandat sanitaire.
- Assurer aux praticiens la vente du médicament vétérinaire dans des conditions convenables.